L’Union européenne (UE) est une création des principaux États d’Europe, pour organiser et réguler la concurrence entre eux, la concurrence capitaliste au sein de cet espace économique. Il est important de ne pas négliger qu’en aucun cas l’UE n’a été créée pour mettre fin à la concurrence, mais bien pour développer les échanges commerciaux, ce qui peut passer selon les cas par des coopérations, mais aussi par des affrontements directs d’intérêts contradictoires, au cours desquels les différents chefs de gouvernements se font les simples porte-paroles des intérêts du patronat, ou d’une partie du patronat, de l’État qu’ils dirigent.
Même s’il existe un parlement européen dont les députés sont élus dans chaque État, cette institution a moins de pouvoir que le Conseil européen, qui est la simple addition des chefs de tous les États-membres. Souvent utilisée comme alibi par les États et capitalismes nationaux pour imposer des reculs sociaux, la politique menée par l’UE est en réalité une question de rapport de forces entre classes sociales.
Quelle attitude pratique doivent adopter les marxistes face au rassemblement d’États qu’est l’UE ? Pour l’envisager, il est nécessaire de revenir sur l’histoire des rapports entre l’idée de fédéralisme européen et le mouvement ouvrier.
Dès septembre 1870, un appel au nom des sections françaises de la Première Internationale appelle à fonder « les États-Unis d’Europe ». Immédiatement ensuite, le même texte en appelle à l’objectif d’une « République universelle ». Il y a déjà là une position qui va être classique pour des générations de révolutionnaires internationalistes, c’est-à-dire militer pour une unification politique fédérale de l’Europe afin de mettre fin aux guerres entre États européens, et à la fois ne considérer cela que comme une étape, avec un but final clairement mondialiste – qui est inséparable du marxisme.
En juillet 1914, Karl Liebknecht affirme dans un discours : « Notre but serait d’arriver à fonder les Etats-Unis d’Europe ».
En 1915, le Manifeste de la conférence internationaliste de Zimmerwald, dirigé contre la Première Guerre mondiale, s’adressait aux « prolétaires d’Europe », tout en se concluant sur le slogan communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Début 1924, le Parti communiste en France, alors marxiste et internationaliste, inclut dans son programme la mise en place « des États-Unis d’Europe ».
Pendant l’entre-deux-guerres puis encore par la suite, de nombreux marxistes mettent en avant la nécessité plus précise d’« États-Unis socialistes d’Europe ». On retrouve ce mot d’ordre rassembleur par exemple chez les socialistes révolutionnaires du Parti socialiste ouvrier et paysan, mais aussi chez les trotskistes, et jusqu’aux conseillistes du Groupe révolutionnaire prolétarien.
Plus largement, Karl Marx écrivait dans le Manifeste communiste de 1848 : « Les particularités et antagonismes nationaux des peuples s’effacent de plus en plus en même temps que se développent la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions de vie qui en résultent. Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus radicalement encore. » (édition La Pléiade, tome 1, p. 180)
Marx disait aussi : « Je suis un citoyen du monde, et je travaille là où je me trouve ». De la même façon, les marxistes ne peuvent se sentir ni « français », ni « européens », mais citoyens du monde.
Cela nous amène à la position à adopter face à l’Union européenne aujourd'hui. Combattre les politiques antisociales menées au sein de l’UE est une nécessité. Pour des marxistes, cette lutte doit être menée sur des bases de lutte de classe et d’internationalisme.
Le mot d’ordre de « sortie de l’Union européenne », sans précision, ne peut être qu’un slogan réactionnaire. Sortir du cadre d’une Europe capitaliste pour revenir à une France capitaliste ne serait qu’un repli national, qui ne bénéficierait qu’à une partie du patronat français et à l’extrême droite, et serait néfaste aux travailleurs dans leur ensemble. Pour des marxistes, il s’agit de mettre en avant la nécessité d’unifier la classe travailleuse par-delà les frontières, aujourd’hui et maintenant. Il n’y a pas de programme plus réaliste. Il faut voir la réalité en face : les démagogues chauvins, qui hélas pullulent y compris dans les courants de la pseudo-gauche réellement confusionniste, sont nos ennemis politiques.
Il est vital pour la classe travailleuse de s’organiser à un niveau au moins européen, plutôt que d’agir séparément. Il s’agit de lutter sur des bases claires, pour des salaires égaux, des droits égaux, des garanties sociales égales quelle que soit l’origine, la nationalité ou le genre des travailleuses et des travailleurs.
Cette indispensable solidarité de classe pour obtenir une harmonisation sociale par le haut n’est cependant qu’un premier pas, le développement par l’action commune de la conscience de classe pouvant permettre ensuite de remplacer le cadre politique capitaliste qu’est l’UE par une Europe des travailleurs, comme étape dans une perspective pleinement internationaliste et anticapitaliste.
Ce n’est pas sur un plan national, mais bien international que les prolétaires peuvent durablement vaincre les politiques qui leur sont opposées, et mettre fin au système de réalisation de profits au détriment des êtres humains et de l'environnement qu’est le capitalisme.
Nationalisme et résignation sont des éléments fondamentaux dans l’impuissance politique actuelle de la classe travailleuse. Se débarrasser des mythes chauvins est indispensable pour les travailleurs. Nos adversaires, ce sont avant tout le mode de production capitaliste et les frontières. L’objectif des marxistes ne peut être que de les briser, pour bâtir collectivement un monde solidaire et libéré du travail aliéné.
"Les prolétaires dans tous les pays ont un seul et même intérêt, un seul et même ennemi, une seule et même lutte devant eux ; les prolétaires sont déjà en grande partie exempts de préjugés nationaux, et toute leur culture et leur mouvement sont essentiellement humanitaires, anti-nationaux. Les prolétaires seuls peuvent abolir la nationalité" (Friedrich Engels, "Das Fest der Nationen in London", 1846, dans Marx-Engels-Werke, tome II, p. 614).