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1 août 2008

Les manuscrits de Marx sur la Commune de 1871

On connaît trop peu les manuscrits de Karl Marx sur la Commune de Paris de 1871. Ces textes ont été écrits pendant les évènements eux-mêmes, à la fin d’avril et en mai 1871. Marx a ensuite - après l’écrasement de la Commune par l’armée versaillaise - rédigé le texte final de La Guerre civile en France, achevé le 30 mai 1871, adopté par le conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs, puis imprimé par l’AIT en juin.

 

 

Ces travaux préparatoires à La Guerre civile en France n’ont été publiés pour la première fois qu’en 1934, et restent malheureusement difficiles à trouver en traduction française. Pourtant, leur lecture est parfois aussi instructive et stimulante que les textes d’autres manuscrits de Marx, comme les Thèses sur Feuerbach, les Grundrisse, les Manuscrits de 1844, etc.

 

Nous en donnons donc quelques extraits, en espérant qu’un éditeur en assurera la réédition intégrale prochainement (en refaisant la traduction, à partir des manuscrits originaux).

 

 

- Extraits du premier essai de rédaction :

 

 

La Commune, « c’est le peuple agissant pour lui-même et par lui-même. »[1]

 

 

« La Commune a ordonné que les deux guillotines, l’ancienne et la nouvelle, fussent brûlées publiquement »[2]. Marx avait depuis longtemps affirmé son opposition à la peine de mort (voir son article « La peine capitale » dans le New York Daily Tribune du 18 février 1853[3]).

Pour Marx, la Commune est l’antithèse du second Empire et du pouvoir d’État :

« Ce pouvoir d’État est, en fait, la création de la bourgeoisie ; il fut l’instrument qui servit d’abord à briser le féodalisme, puis à écraser les aspirations des producteurs, de la classe ouvrière, vers leur émancipation. Toutes les réactions et toutes les révolutions n’avaient servi qu’à transférer ce pouvoir organisé – cette force organisée pour maintenir en esclavage le travail – d’une main à une autre, d’une fraction des classes dominantes à une autre. Il avait été pour les classes dominantes un moyen d’asservissement et de lucre. Il avait puisé des forces nouvelles dans chaque changement nouveau. Il avait servi d’instrument pour briser tout soulèvement populaire, pour écraser les classes laborieuses après qu’elles eurent combattu et reçu l’ordre d’assurer le transfert de ce pouvoir d’un groupe de ses oppresseurs à un autre groupe. Ce ne fut donc pas une révolution contre telle ou telle forme de pouvoir d’État, légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale. Ce fut une révolution contre l’État lui-même, cet avorton surnaturel de la société ; ce fut la reprise par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. Ce ne fut pas une révolution faite pour transférer ce pouvoir d’une fraction des classes dominantes à une autre, mais une révolution pour briser cet horrible appareil même de la domination de classe. »[4]

 

 

« La Commune se débarrasse totalement de la hiérarchie politique et remplace les maîtres hautains du peuple par des serviteurs toujours révocables, remplace une responsabilité illusoire par une responsabilité véritable, puisque ces mandataires agissent constamment sous le contrôle du peuple. Il sont payés comme des ouvriers qualifiés »[5]

 

 

« La Commune ne supprime pas les luttes de classes, par lesquelles la classe ouvrière s’efforce d’abolir toutes les classes et, par suite, toute domination de classe […] mais elle crée l’ambiance rationnelle dans laquelle cette lutte de classes peut passer par ses différentes phases de la façon la plus rationnelle et la plus humaine. »[6]

 

 

« Le fait que la révolution est faite au nom et dans l’intérêt déclaré des masses populaires, c’est-à-dire des masses productrices, c’est un trait que cette révolution a en commun avec toutes celles qui l’ont précédée. Le trait nouveau, c’est que le peuple, après le premier soulèvement, ne s’est pas désarmé et n’a pas remis son pouvoir entre les mains des saltimbanques républicains des classes dirigeantes ; c’est que, par la formation de la Commune, il a pris dans ses propres mains la direction effective de sa révolution et a trouvé en même temps, en cas de succès, le moyen de la maintenir entre les mains du peuple lui-même, en remplaçant l’appareil d’État, l’appareil gouvernemental des classes dominantes, par son appareil gouvernemental à lui. »[7]

 

 

Marx critique les conceptions du socialisme "par en haut", conceptions de ce que l’on appelle le "socialisme utopique" :

« Tous les fondateurs de sectes socialistes appartiennent à une période où la classe ouvrière elle-même n’était pas suffisamment entraînée et organisée par le développement même de la société capitaliste pour faire sur la scène mondiale une entrée historique, à une période où, d’ailleurs, les conditions matérielles de son émancipation n’étaient pas suffisamment mûres dans le vieux monde lui-même. Sa misère existait, mais les conditions de son propre mouvement n’existaient pas encore. Les fondateurs de sectes utopistes, tout en annonçant, par leur critique de la société de leur temps, le but du mouvement social, l’abolition du salariat et de toutes ses conditions économiques de domination de classe, ne trouvaient ni dans la société même les conditions matérielles de sa transformation, ni dans la classe ouvrière le pouvoir organisé et la conscience du mouvement. Ils essayaient de pallier les conditions historiques du mouvement par des tableaux et des plans chimériques d’une nouvelle société ; en propager l’idée leur paraissait le véritable moyen de salut. A partir du moment où le mouvement de la classe ouvrière devint une réalité, les chimères utopiques s’évanouirent non point parce que la classe ouvrière avait abandonné le but indiqué par ces utopistes, mais parce qu’elle avait découvert les moyens réels d’en faire une réalité. »[8]

 

 

« Proclamant hautement ses aspirations internationalistes – parce que la cause du producteur est partout la même et que son ennemi est partout le même, quel que soit son vêtement national[9] – Paris a proclamé le principe de l’admission des étrangers à la Commune, il a même élu un ouvrier étranger (membre de l’Internationale) à son Exécutif ».[10]

 

 

Extraits du second essai de rédaction :

 

Ce second essai de rédaction est à la fois plus court que le premier, et bien plus proche du résultat définitif.

 

 

« Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte. L’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation. » ; « L’énorme parasite gouvernemental, qui enserre le corps social comme un boa constrictor dans les mailles universelles de sa bureaucratie, de sa police, de son armée permanente, de son clergé et de sa magistrature, date du temps de la monarchie absolue. »[11]

 

 

« Peut-être la Commune de Paris tombera-t-elle, mais la révolution sociale qu’elle a entreprise triomphera. Son lieu de naissance est partout. »[12]

 


 

[1] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871 - édition nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, éd. sociales, 1968, p. 192.

 

[2] Idem, p. 202.

 

[3] Traduction en français dans Karl Marx, Œuvres tome IV, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 700-703.

 

[4] La Guerre civile en France, 1871 - édition nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, pp. 211-212.

 

[5] Idem, p. 214.

 

[6] Idem, pp.215-216.

 

[7] Idem, pp. 223-224.

 

[8] Idem, pp. 224-225.

 

[9] Marx a indiqué deux possibilités de rédaction pour ce corps de phrase : « quelle que soit sa nationalité », ou « quel que soit son vêtement national ».

 

[10] Idem, p. 226. 

 

[11] Idem, p. 257.

 

 

[12] Idem, p. 264.

 

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